ÉREINTER & ÉREINTEMENT
Se dit d’une critique violente et souvent partiale ayant pour but de nuire , voire même d’éliminer, une œuvre littéraire .(on dit aussi « Estropier * « )
Les éreintements furent innombrables et ne reculèrent pas toujours devant la bassesse ou la grossièreté comme pour celui, particulièrement abject ,que Barbey d’ Aurevilly publia à propos de “ Bouvard et Pécuchet “ de Flaubert en 1881 soit un an après sa mort » Et il n’est pas que bête, ce récit qui est un phénomène de bêtise ! Par place aussi iI est dégoûtant et odieux. …. Y en a-t-il de cette perfection, impossible dans la bêtise humaine et dans l’ennui que produit ce roman sans gaieté, sans talent, sans observation neuve sur des types usés, sucés, épuisés — ce livre enfin illisible et insupportable, que l’auteur n’a pas fini «
Et , pour ne se cantonner qu’aux œuvres primées par le jury des Goncourt qui n’ont pas,elles non plus , échappé à la » bienveillance « des critiques , voici un petit florilège de quelques « Amabilités « proférées à leur sujet extrait de l’excellent ouvrage « Goncourt , cent ans de littérature « de Dominique –Antoine Grisoni (Agnès Vienot-2003) que l’on ne saurai trop recommander de lire :
-À commencer par les Goncourt eux-mêmes qui furent comparés par Angelo Rinaldi à « Deux femmesde chambre envieuses qui se rinceraient l’œil par le trou de l serrure «
-« Force ennemie « , Goncourt 1903 de John Antoine Nau fut qualifié par Paul Acker dans le « Gil Blas « du 8/12/1906 de « …un des livres les plus écrits en charabia que je connaisse «
-« Dingley l’illustre écrivain « Goncourt 1906 de Jérome & Jean Tharaud s’attira sous la plume de Jules Bois (Gil Blas du 21 Mai 1906 ) le commentaire : « Certains livres inquiètent , énervent ,lassent tendent sur le monde une brume lumineuse qui , comme les étangs de l’Inde donne le pessimisme et la fièvre ….dans cette catégorie je range cet étrange et poignant Dingley … »
-Dans « l’Excelsior « du 5 Décembre 1912 , J. Ernest Charles fait un doublé en écrivant que Louis Pergaud , Goncourt 1910 pour « De Goupil à Margot «, « …écrivait sur les bêtes parce que les bêtes ne peuvent pas se plaindre « et , concernant André Savignon , Goncourt 1912 pour « Les filles de la pluie « que « …cahin-caha,hue,dia,hop-là ii est arrivé à lavictoire « et à la fin de son article ,in cauda vénénum , que «… monsieur Savignon a du talent . Je vous défie de prouver le contraire avant qu’il n’ait publié son prochain livre «
-En 1913 , Marc Elder , prix Goncourt pour « Le peuple de la mer « s’attira d’André Maunier dans le « Figaro « du 7 Décembre 1913 le commentaire perfide : « On chercherait en vain …ce qui a pu séduire les dix . Chacun des dix répondra que le « Peuple de la ler « ne l’avait pas séduit ,mais « Le peuple de la mer « il a eu le prix .
-Proust qui , écarté en 1913 fut primé en 1919 pour « À l’ombre des jeunes filles en fleur » ne séduisit pas Paul Souday qui écrivit dans « Le Temps « du 1° Janvier 1920 : »Chaque phrase prise à part …s’amplifie,se complique , s’enchevêtre , se replie en volutes et en queue de serpent .. »
-Pour le prix Goncourt 1921 attribué à René Maran pour « Batouala « le critique du « Charivari « du 25 Décembre 1921 se dissimule derrière les initiales « AM « pour écrire un propos fielleux et raciste : «…élucubration négro-érotique du noir Maran …le style est déplorable et d’une prétention risible .Il évoque ,ce style , l’image d’un négrillon en babouches,coiffé d’un chapeau haut de forme , le cou emprisonné dans un faux-col en celluloïd »
-Pour Henri Béraud , lauréat Goncourt en 1922 pour deux œuvres « Le vitriol de lune » & « Le martyre de l’obèse « Jean-Jacques Brousson écrit dans « L’excelsior « du 19 Novembre 1922 : « Roman ?..Hum !...L’intrigue , une boutade, : elle tiendrait dans le chaton d’un bague de quinze sous ! «
-Henri Fauconnier , Goncourt 1930 pour « Malaisie « dut se contenter du commentaire à l’emporte pièce d’André Thérive qui écrivit dans « Le temps « du 12 Décembre 1930 que l’auteur « ….avait des dons évidents d’écrivain et point du tout de savoir-faire …«
-En demi-teinte fut le commentaire d’André Thérive dans « Le Temps « du 2 Décembre 1937 concernant Charles Plisnier Goncourt de l’année pour « Faux-Passeport « :Le style , sans cesse très fait,un peu théâtral empêche qu’on ne sente un petit frisson de curiosité que nous donnent les indiscrétions ….. »
-Concernant Jean-Jacques Gautier , Goncourt 1946 pour « Histoire d’un fait divers « Marie Louise Baron écrivit dans « Les lettres françaises « du 6 Décembre 1946 : « Pour faire « Sanctuaire « il faut être Faulkner..je crains bien que M. Gautier ne soit que M. Gautier et que , partant d’une histoire vraie, il n’ait fait qu’un roman faux «
-On ne sait ce que Jean-Louis Curtis , Goncourt 1947 pour « Les forêts de la nuit « pensa du procédé employé par le critique André Rousseaux qui , empruntant mot pour mot une citation du roman primé , la lui appliqua dans sa critique parue dans le « Le Figaro « du 13 Décembre 1947 : « …autrement dit, zéro. Aucune sorte de génie dans aucun domaine de l’expression…fabrication en série …Un parmi d’autres … »
-Et , toujours avide d’égratigner ,le même André Rousseaux s’intéressa à Maurice Druon , Goncourt 1948 pour « Les grandes familles « en écrivant dans « Le Figaro littéraire « du 11 Décembre 1948 : « ..l’académis Goncourt avait le choix entre une œuvre de valeur et un ouvrage en toc .C ‘est celui –ci qu’elle a élu ! « et ,en concluant : « Le roman de M.Maurice Druon se pose comme une conversation de femmes du monde ou un dialogue d’académiciens « …dernière appréciation prémonitoire à l’insu de son auteur …
-En 1961 , Jean Cau , Goncourt pour « La pitié de Dieu « n’obtint pas la pitié d’André Stil qui , dans « L’Humanité « du 23 Novembre 1961 écrivait : « Recette : vous prenez quelques personnages anormaux. Vous les placez dans une situation bien exceptionnelle….un bon « Huis clos « . Vous mélangez.Vous mélangez bien jusqu’à l’absurde . Cela fait un roman existentialiste de plus « et , un peu plus loin : « « La pitié de dieu « est d’ailleurs , s’il est possible d’y comprendre quelque chose , un roman sur l’irresponsabilité «
-« Le roi des aulnes « de Michel Tournier , Goncourt 1970 , inspira Jacques Brenner qui ,dans « Paris-Normandie « du 18 Septembre 1970 écrivait : « Les amateurs de littérature baroque ,mêlant le grave au grotesque , la poésie à l’ordure ,la raison à la démence , doivent lire « Le roi des Aulnes « …Goethe aurait été indigné de l’usage que fait M. Tournier de son poème . Mais Goethe est mort . «
-Concernant le Goncourt 1971 attribué à Jacques Laurent pour « Les bêtises » le critique Pierre Daix s’en prend à l’académie en écrivant dans « Les lettres françaises » du 24 Novembre 1971 : « Ce n’est ni un prix , ni même un choix, c’est un programme. Faire servir le prix Goncourt au relais dans une carrière de » Caroline chérie « c’est plus beau que nature et cela dit merveilleusement à quel rôle d’adjuvant commercial entendent se promouvoir nos réformateurs «
Et soncollègue Jean Montalbetti s’intéresse au lauréat en écritvant plus sobrement dans « Le magazine littéraire « de Novembre 1971 : « Il a de la plume et de la meilleure quand il ne se trompe pas d’encrier «
-Philippe Senart dans « Combat « du 17 Octobre 1973 encense à sa mamière Jacques Chessex , lauréat du Goncourt 73 pour « L’ogre « : « M. Chessex ne nous montre que Croquemitaine et nous n’entendons d’autre musique que celle , onctueuse et distinguée d’un harmonium d’église de campagne. C’est du Gide fondant . »
-Le cru 1978 n’est pas meilleur qui voit Angelo Rinaldi écorcher Patrick Modiano , prix Goncourt de l’année pour « Rue des boutiques obscures « en écrivant dans « L’Express » du 25 Septembre 1978 : « Sans cesse on éprouve l’ennui teinté d’agacement du monsieur en visite chez un raseur qui lui impose de feuilleter son
album de famille « .
-En 1990 c’est au tour de Jean Rouaud , Prix Goncourt de l’année pour « Les Champs d’honneur « d’être l’objet de la sollicitde attentive de Renaud Matignon qui s’épanche abondamment dans le « Figaro littéraire « du 8 Octobre : « Voici une drôle de chose paysanne …des pages et des pages ne suffisent pas à dire à force de ne pas dire ….le lecteur, lui , est de trop….le vide occupe le centre du récit «
-En 1999 , Jean Échenoz , courronné pour « Je m’en vais « est épinglé par Jean-Louis Ézine dans « Le nouvel observateur « du 14 Septembre en ces termes : « Tout le monde s’ennuie , même le narrateur .C’est là un des effets indésirables , comme on dit sur les boîtes de médicaments , de la dérision …..le problème avec l’ironie c’est qu’elle tue le roman, c’est un acide ….Aucun personnage , aucun récit n’y résiste . «
On pourrait poursuivre ainsi à l’infini ce florilège en scrutant les critiques dont ont fait l’objet les autres prix littéraires dont aucun n’a échappé aux aristarques de tout poil et , au – delà les commentaires acerbes que quasiment toutes les œuvres publiées ont suscité ….
Savoir dans quelle mesure ces « amabilités « affectent les auteurs est difficile ; pour une même œuvre les commentaires sont variés et les éloges côtoient souvent les éreintements …tout est donc sans doute affaire de proportions …
De plus , la pratique quasi constante de l’éreintement par certains critiques est de nature à leur ôter beaucoup de leur crédibilité …