CENSURE
Examen critique d’une œuvre avant sa publication pouvant conduire à l’interdiction* ,partielle ou totale de sa diffusion ou à sa modification si elle ne répond pas aux critères établis par le censeur.
Dans des textes anciens on peut rencontrer les appellations devenues inusitées “ censive “ et “ censurat “ et dans les textes plus récents diverses appellations telles que « Anastasie * « , « Ciseaux* « , « Douanier* de la pensée «, »Sainte Pélagie * » etc ..
La censure a existé de tous temps et l’on peut citer Ovide qui en fut victime pour son “ Art d’Aimer “ ,mais ,à certaines époques, elle fut d’une particulière sévérité et de nombreux livres en ont été les victimes soit en n’étant pas publiés soit en étant amputés d’une partie de leur contenu .
De nombreux auteurs ont été sanctionnés de diverses manières: prison , supplice ,exécution, bannissement et parfois même à titre posthume comme ce fut le cas pour Clément d’ Alexandrie radié en 1586 du martyrologe Romain par le pape Sixte Quint pour cause de non orthodoxie de ses écrits ...
Les principales causes tenaient à des raisons religieuses, politiques ou morales et ces livres étaient désignés comme “ Mauvais* livres “
Par exemple , de 1660 à 1770, et pour la seule Bastille,huit cent soixante neuf imprimeurs furent emprisonnés ,six autres moururent après leur condamnation aux galères et innombrables sont ceux qui furent frappés d’amende ,de confiscation de leurs biens ,condamnés au fouet ou au carcan ....et parmi eux , le marquis de Sade qui fut embastillé en 1763 non à cause d’une “ Partie avec des filles “ comme le prétendit son père mais en raison d’ un “ Malheureux livre “
Il est à noter que c’est grâce à la censure que certains ouvrages sont très recherchés en raison de leur rareté ou plus simplement de l’esprit de résistance des lecteurs.
Comme exemple de rareté on peut citer l’édition des “fleurs du mal” de Baudelaire comportant,avant censure, les poèmes qui furent ensuite supprimés...et comme exemple de résistance Oscar Wilde qui disait que “ Plus de la moitié de la culture intellectuelle moderne dépend de ce que l’on ne devrait pas lire “ ou Marcel Jouhandeau écrivant dans “ Essai sur moi-même “ que “ Tout bon livre est un attentat “....
La censure a parfois conduit à la destruction officielle et exemplaire :c’est l’autodafé*.
L’idée de censure est ancienne et l’on en trouve trace dans les colophons* de certains livres ( comme celui imprimé à Cologne en 1479 qui porte la mention : “Permis par l’université...” ) ou dans la bulle papale de Léon X datée de 1515 rendant obligatoire l’examen des livres avant publication (et préfigurant l’index * ....)
L’origine de la censure en France se situe sous le règne de François 1° (1521) qui,bien que protecteur des lettres et des arts, comprit très vite le danger que pouvaient constituer les livres et imposa l’approbation* avant publication puis en 1533 l’interdiction de l’imprimerie qui , bien que vite abrogée, lui valut le surnom persistant de “ Proscripteur de l’imprimerie “ mais bien d’autres lois suivirent ensuite au fil du temps!
La Sorbonne publia en 1543 un catalogue* des livres condamnés comportant environ 63 titres (dont “ Gargantua “ et “ Pantagruel “ ....)qui devinrent 250 dés 1544...
La censure eût ensuite des alternances de libéralité et de sévérité , certains modes d’expressions,théâtre par exemple , y échappant parfois pour un temps …..il y eût cependant des périodes ou elle préfigura la censure quasi paranoïaque qui devait sévir en URSS bien plus tard et ,vers le milieu du XIX° siècle certains censeurs, animés du même esprit que , naguère, les inquisiteurs , virent dans des textes totalement anodins des allusions amorales , grivoises ou contraires aux lois et aux mœurs …
Napoléon écrivait en 1810 :
“L’imprimerie est un arsenal qu’il importe de ne pas mettre entre les mains de tout le monde ...il s’agit d’un état qui interesse la politique ,et dés lors , la politique doit en être juge . “
Opinion qu’il nuançait cependant concernant la censure des correspondances privées en écrivant dans « Le mémorial de Sainte Hélène : « La violation du secret des lettres peut donc faire perdre au prince ses meilleurs amis en lui inspirant à tort de la méfiance et de la prévention «
La censure peut avoir diverses causes dont les principales tiennent à la moralité (cause permanente) à la politique (cause variable) ou à la simple discrétion du pouvoir (“ Il est dangereux de lire trop de livres “ disait Mao Tsé Toung ) En période de conflits ou de guerre la censure est en général considérablement renforcée...
Durant la guerre de 14 le courrier était censuré par découpage au point de le rendre parfois illisible et , pour le dernier conflit mondial ,on peut citer l’œuvre de Saint-Exupéry “ Pilote de guerre” qui ,censurée, donna lieu à des éditions clandestines ou celle de Vercors dont la censure provoqua la création d’une maison d’édition clandestine : les “Éditions de minuit “
Mais il y eût bien d’autres “Unerwuenschte Franzoesische literatur “ (ouvrages littéraires francais non désirables ) figurant sur la liste Bernhard de 1940 et les trois listes Otto (Otto Abetz) établies en 1940 , 1942 et 1943...(environ 3200 titres et 140 éditeurs ...)
Dans l’ex URSS la censure nommée « Glavlit* » exerça une pression proche de la paranoïa sur toute la chose écrite , chacun de ses treize échelons s’ingéniant à trouver un reproche à faire au texte qui lui était soumis après transit dans les niveaux intermédiaires …il s’ensuivit une autocensure * généralisée et la floraison de Samizdats *
Plus récemment , la révolution culturelle chinoise provoqua vers 1965 une censure généralisée et une baisse colossale de la production éditoriale qui de 20430 titres en 1965 passa à 2925 titres en 1967 ( encore s’agissait-il de titres très orientés ...)
Malgré toutes les interdictions et même durant les périodes de censure les plus sévères un certain nombre d’ouvrages continuent cependant à circuler....ces écrits clandestins ,diffusés en général à petit nombre,ont souvent un grand intérêt bibliophilique...
La censure a ,parfois, reçu des surnoms :le plus célèbre étant :Anastasie*
Lorsqu’elle se manifeste en supprimant matériellement les ouvrages ou en les modifiant avant leur impression son action peut être difficile à déceler mais il arrive assez souvent qu’elle laisse des traces évidentes telles que passages caviardés * , illustrations modifiées , pages arrachées etc ..
Un cas très fréquent est constitué par la censure religieuse qui conduisit ,jusqu’au XIX° siècle ,à diverses actions telles que :
-Voilage pudique des parties “ honteuses “ des personnages d’une foule de gravures , créant ainsi ce qu’aujourd’hui nous nommons les “ États couverts * et découverts * “
-Exclusion de la communauté , excommunication ou “ Fatwa * “ comme celle dont fut victime en 1656 Spinoza qui se retrouva exclu de la communauté juive
-Inscription à l’ “ Index * “ etc ...
L’auto-censure consiste pour un auteur ou un organisme à supprimer lui-même de ses œuvres écrites les passages susceptibles de déplaire au public,à certains Lobbies *, au pouvoir en place ou ,plus simplement à.... l’Audimat *.... Il va sans-dire que cette pratique conduit à un appauvrissement certain de la création....
On a ,parfois, appelé “ Censure “ une note critique placée par l’éditeur pour signaler les passages d’une œuvre susceptibles d’être de provenance douteuse ...
Il est arrivé , en période de guerre que certains écrivains fassent partie des services de la censure : ce fut le cas de Guillaume Apollinaire lors de la première guerre mondiale .
En France , la censure s’en est pris à presque toutes les sortes d’ouvrages , la catégorie la plus épargnée étant les dictionnaires pour laquelle on ne peut guère citer que l’encyclopédie de Diderot , violemment critiquée mais incomplètement censurée ,et,beaucoup plus tard , le”Dictionnaire universel “ de Lachâtre pour lequel ,outre la destruction de l’ouvrage , l’ auteur fut condamné en 1858 à cinq ans de prison et 6000 francs d’amende .
Elle ne s’est en outre pas contentée de pourchasser les ouvrages et de les détruire mais elle avait édicté des règles très contraignantes pour l’exercice de l’imprimerie : Porte unique et non fermée à clé , interdiction d’utiliser les rouleaux * jugés trop silencieux etc ...
Il est arrivé fréquemment que ,pour tenter de supprimer un livre qui leur déplait ,une institution ou des particuliers en rachètent la quasi totalité des exemplaires pour ensuite procéder à un autodafé * personnel :
-Le Vatican dépensa ainsi des sommes considérables au début du XIX° siècle pour racheter chez les libraires et chez les lecteurs l’ouvrage “Réalité de la magie et des apparitions “ de l’abbé Simonnet paru en 1819 et jugé trop peu orthodoxe .
-La veuve Clicquot rachetait pour les détruire les œuvres de son gendre jugées licencieuses à son goût....
La censure,comme l’autodafé * (Voir à ce mot ) , a souvent l’effet inverse de celui recherché en provoquant l’engouement des lecteurs pour les textes censurés.
Morellet écrivait à ce propos au XVIII° siècle : “ Ces six mois de Bastille seraient une excellente recommandation et feraient infailliblement ma fortune ...” et, en effet , embastillé comme obscur libelliste *,il en ressortit avec l’aura de la victime et du philosophe .
Et , bien avant lui , Tacite s’exprimait ainsi : « Ceux qui croient , avec leur pouvoir du moment , parvenir à étouffer même le souvenir de la postérité sont fous !. Au contraire ,l’estime pour les talents châtiés croit et ceux qui emploient la sévérité n’obtiennent pas autre chose que leur propre déshonneur et la gloire de ceux qu’ils ont punis «
L’action des censeurs , lorsque les ouvrages ne sont pas détruits ou retirés de la vente se traduit par l’apposition , d’un “ Visa * “ , d’une mention ou d’un cachet * ou , pour le domaine japonais , d’un “ Aratame * “ dont l’examen est parfois le seul moyen de dater un document ancien ne portant pas d’indication de date .
Il va sans dire que les écrits la condamnant furent innombrables et , pour n’en citer que deux on peut noter :
-Ce qu’en disait Voltaire (in « Pièces inédites [Remarques et observations] « -1820) : « Un livre défendu est un feu sur lequel on veut marcher ,et qui jette au nez des étincelles «
-Ce que Flaubert écrivait dans sa correspondance (1852) : “ ...L’attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme .La mort de Socrate pèse encore sur le genre humain . “
Parfois , la censure prend d’étranges formes comme , par exemple ,en Russie ou après la disgrâce de Béria tous les souscripteurs de la « Bol’shaia Socetskaia Entsiklopedia »(Grande encyclopédie ) reçurent un courrier qui,renouant en cela avec l’antique « Damnatio* memoriæ « des romains , leur demandant de caviarder sur leur exemplaire l’article de l’encyclopédie concernant ce personnage ,une carte postale à la bonne dimension étant jointe au courrier…l’histoire ne dis pas s’il y eût des contrôles ….
Le terme étant un peu tabou des succédanés en apparence plus acceptables ont fleuri comme , par exemple : « Contrôle de conformité d’exploitation « parfois abrégé en « C C E «
Sans pouvoir être réellement qualifiée de censure , la « sélection « qui fut parfois pratiquée par quelques bibliothèques publiques n’admettant pas en leur sein certains types d’ouvrages peut lui être comparée …la chose est ancienne et Jean Pie Namur la notait déjà en 1834 dans son « Manuel du bibliothécaire « : « Il est parfois à la tête des bibliothèques publiques des hommes d’une conscience timorée et d’une religion par trop méticuleuse …..qui , loin de faire abstraction de leurs propres idées …écartent soigneusement du dépôt qui leur est confié , tout livre qui est en opposition avec leur manière de penser «
Si , lorsque l’on parle de censure ,on pense à priori aux textes des écrivains , à la presse et aux correspondances privées , il ne faut pas oublier qu’elle s’exerça sur des domaines bien plus vastes comme , par exemple , lorsque le gouvernement révolutionnaire publia en Thermidor de l’an XIII un « Précis concernant la rectification des enseignes *, Tableaux *,Écriteaux , Adresses*, Indications et inscriptions »ordonnant de supprimer tous les emblèmes ou termes évoquant la royauté sur tous les supports en comportant …
Les moyens matériels mis en œuvre par la censure sont variés et plus ou moins radicaux :
-Destruction des ouvrages par le feu ( « Autodafé * ») , lacération , pilonnage *, amputation des passages censurés ou réemploi des matériaux à d’autres fins.
- « Caviardage * « plus ou moins efficace des passages censurés.
-Scellement à la cire cachetée des pages interdites .
-Mise à l’index* interdisant « moralement « certaines lectures sans que des obstacles physiques efficaces soient mis à l’accès aux ouvrages concernés.
-Méthodes plus originales mais en général de peu d’efficacité comme , par exemple poignardage*(on connaît de nombreuses représentations de livres poignardés ..) ou tir à balle sur le livre , condamnation de passages à l’aide d’agrafes * ou de trombones * etc ….toutes méthodes qui , si elles ont pu satisfaire la hargne du censeur et effrayer quelques lecteurs dociles ont conservé au livre sa capacité à délivrer son message .
AUTOCENSURE
…
Action pratiquée par un auteur ou une publication consistant à ne pas écrire ou publier certaines opinions ou informations dans la crainte qu’elles ne soient censurées ou pour respecter une convention ou un code de déontologie *.
L’autocensure est ancienne et déjà dans l’antiquité , Tacite la mentionnait en la nommant « Inertiæ dulcedo « (Douce inertie ..)
Anticipant de façon subjective une possible sanction ,l’autocensure ,si elle est abusivement pratiquée, peut conduire à une certaine stérélisation de l’écrit ....
On peut citer l’exemple de Descartes qui , ayant découvert les bases de la topologie en 1633, préféra interrompre ses recherches au vu de la condamnation de Galilée par l’inquisition ou celui de Mellin de Saint Gelais qui détruisit la première édition (1547)de ses œuvres poétiques pour effacer toute trace de quelques vers non conformes à son statut de poète officiel du roi Henri II…
Plus près de nous , l’autocensure est courante concernant certains sujets pouvant être interprétés comme faisant l’apologie de notions jugées incorrectes .
L’autocensure est parfois institutionnalisée comme ce fut le cas durant la seconde guerre mondiale ou le syndicat des éditeurs signa avec l’occupant le 28 septembre 1940 une « Convention d’auto-censure «qui fonctionna jusqu’en 1942 en interdisant aux éditeurs de plublier tout texte susceptible de nuire aux intérêts allemands .
Parfois c’est l’auteur lui-même qui s’efforce de supprimer les ouvrages en circulation en les rachetant …ce fut le cas du dessinateur Gus Bofa qui devant la réprobation provoquée en 1919 par son livre «Roll-Mops le dieu assis « dut se résoudre à racheter le stock.
Parfois aussi l’éditeur se dote d’un service dit « Senstivty* reader « chargé d’ « aseptiser » les textes qui vont être publiés …en principe , mais pas toujours , avec l’assentiment de l’auteur